« L’évaluation » Appréhender le sensible via une expérience dansée

MJC de Villeurbanne, 18 octobre 2022

Profils professionnels des participant·e·s

Présentation de l’atelier

La question de l’évaluation arrive souvent a posteriori des projets. Du côté des institutions culturelles, cette question peut se confondre avec celle de la valorisation ou même de la « validité » du projet, et peut parfois « laisser de côté » une partie des acteurs. Participer à un projet culturel, c’est construire un projet collectif mettant plusieurs acteurs en interrelation, définir des valeurs communes et prendre part à l’évaluation partagée de ce projet. Comment intégrer la question de l’évaluation dans la construction des projets ? Comment mettre en place les conditions d’une évaluation partagée rendant compte de la singularité des points de vue des différentes personnes impliquées ? Au regard des droits culturels, quelle place donner à l’expérience sensible des personnes dans l’évaluation d’un projet culturel ?

L’objectif de cet atelier est de construire collectivement un langage sur l’évaluation du sensible (par opposition à évaluation quantitative) afin de faire émerger une question commune que les « discutants » aborderont lors de la dernière journée du colloque.

Animation

Ghislaine Hamid-Le Sergent, chargée du développement culturel, Service des publics, Maison de la danse, Lyon

Intervenants

Emmanuelle Goulard – compagnie Arcosm (matin)
Thomas Guerry – compagnie Arcosm (après-midi)

Déroulement de l’atelier

Séquence 1 (matin) – Brise-glace : les participants font connaissance deux par deux et se présentent mutuellement au reste du groupe en insistant sur ce qui les lie et ce qui les différencie… Après un échauffement et un exercice d’occupation de l’espace et d’écoute (déplacements, variations des vitesses, arrêts du groupe à l’unisson), les participants expérimentent en demi-groupe le jeu de la statue collective. Un danseur en mouvement « donne la parole » à un autre en le touchant et se fige à son tour. La partie du corps « touchée » initie le mouvement du nouveau danseur, qui le transmettra à son tour par le contact avec le corps d’un autre avant de se figer. Les danseurs doivent changer de rythme, d’énergie, d’intensité. Le mouvement collectif s’accélère. Une petite chorégraphie a pris naissance en quelques minutes. Chaque demi-groupe restitue l’expérience devant les autres participants spectateurs.
Retours des participants : les ressentis ont été très positifs, chacun était à l’aise, en confiance. Il y a eu de nombreuses contraintes et pourtant, « chacun a été capable » de passer outre la gêne ou la peur et de s’exprimer par le corps. On a parlé de « fierté », de « lâcher prise », d’« indulgence avec soi-même » et on a souligné l’importance du groupe et des liens créés par le corps. Certain-e-s pensent que de nombreuses consignes obligent le cerveau à contrôler le mouvement, à l’inverse, d’autres pensent que plus il y a de consigne, plus le corps « réagit » plutôt que « réfléchit ».

Retour de l’artiste : les consignes n’ont pas vraiment été respectées, malgré cela, le résultat était très beau ! Il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse. C’est une question d’implication, de défi, de challenge. Les danseurs ont mis leur corps au service des autres, du très personnel au collectif, cela crée une intimité dans le groupe.

Séquence 1 (après-midi) – Brise-glace : la moitié des participants a les yeux bandés et se laisse guider par les autres, puis vice versa. Après l’échauffement pour réveiller le corps en dessinant dans l’espace, Thomas Guerry propose aux participants de faire des gestes, comme si on faisait connaissance (se saluer, etc.). Peu à peu, les mouvements prennent de l’ampleur, vont crescendo, alors que la parole baisse. Une petite chorégraphie se met alors en place très rapidement.

Retours des participants : à l’issue de l’atelier, une discussion très animée se déroule sur le thème de l’évaluation et sur la proposition d’atelier faite au groupe. Certains participants ne pensaient pas « danser », devoir mettre leur corps en jeu, ils attendaient plutôt qu’on leur transmette des « outils d’évaluation » et ont été « déçus ». Le parti pris était de mettre d’emblée les participants dans la pratique, pour laisser une place prépondérante au corps et au ressenti avant l’analyse, et pour les mettre dans les mêmes conditions qu’un groupe d’élèves, par exemple. Peut-être que la dynamique du groupe aurait été différente si les participants avaient pu définir collectivement des objectifs communs (des indicateurs ? des critères de réussite ?) en prenant en compte les attentes de chacun en amont de l’atelier.

Retour de l’artiste : la créativité, c’est dépasser son objectif. Si je n’ai pas atteint mon objectif, je n’ai pas échoué pour autant. L’important, c’est de passer un moment génial, de créer un groupe, de montrer un groupe qui sait se parler, s’écouter pour créer.

Séquence 2 (matin et après-midi) – À partir de l’expérience sensible vécue en commun, réflexion collective sur les objectifs et les modalités de l’évaluation d’un acte artistique.

Synthèse des deux demi-journées

L’interrogation première partagée par les deux groupes concerne la nature de ce que l’on cherche à évaluer. Dans le travail en demi-groupe, l’observateur peut porter son regard sur les danseurs en interrogeant différents aspects : la place de chacun dans le groupe, les différents rôles, la technique de chacun, la créativité, l’ambiance générale. Si rien n’a été défini en amont, l’évaluation est très subjective. Ensuite, il est important de savoir si on évalue le projet pour le groupe ou à l’échelle individuelle, et de garder à l’esprit que l’intervenant est partie prenante du groupe. Dans le premier groupe, il a été exprimé que, si l’intervenant ne s’était pas amusé, s’il ne s’était pas dépassé, alors l’atelier n’était pas « réussi », notion que l’on peut mettre en parallèle avec l’analogie de l’enseignant qui s’évalue lui-même, sa capacité à transmettre, lorsqu’il évalue ses élèves, évoquée dans le deuxième groupe. L’important est que l’intervenant gagne la confiance des participants. Au début, on donne une couleur, des bases pour arriver à un climat de confiance et d’amusement. Et une fois qu’on se situe « dans le plaisir », on peut se mettre au service de l’autre, du groupe, on peut dépasser des limites, découvrir un nouveau potentiel, il y a alors une vraie rencontre. L’intervenant accompagne les personnes dans la constitution du groupe, la création de liens, d’une mémoire collective, de valeurs partagées. Ensuite, on peut proposer un travail plutôt individuel, en sous-groupes, changer les rôles et ainsi chacun peut être leader et suiveur. On apprend à aller vers l’autre, s’entraider, écouter, se mettre en contact… des choses qu’on vit au quotidien, qu’on vivra quand on sera citoyen.

Dans les deux groupes, on évoque la question de l’« engagement », du « dépassement de soi », de prendre part au groupe, de comment répondre aux contraintes, les dépasser… Et surtout comment évaluer ou plutôt mesurer ces objectifs ? Il apparaît clairement que le chemin est une fin en soi. Mais alors comment mesurer le chemin parcouru ? Comment rendre compte de la qualité du moment passé ensemble ?

D’un point de vue méthodologique, il semble important de définir les objectifs du projet en amont et de définir des indicateurs et critères d’évaluation. Mais on peut aussi interroger ici la place du public et / ou des participants en les intégrant dès cette phase du projet. Il faut aussi réfléchir à la temporalité, l’évaluation sera-t-elle effectuée pendant l’activité ou a posteriori ?

Bien entendu, en fonction de la nature du projet et des objectifs que l’on souhaite évaluer, les indicateurs seront différents et les critères d’évaluation ne seront pas les mêmes dans des projets artistiques et culturels que dans le domaine du soin et de la thérapie ou encore dans celui de l’Éducation nationale, par exemple. Comment traduire une réussite artistique ? Le sensible peut-il s’évaluer ? S’il semble difficile de mesurer le ressenti à l’échelle individuelle, on peut tout de même recueillir la parole des participants en les invitant à verbaliser et à partager ledit ressenti. On peut aussi interroger l’envie de revenir, de recommencer l’expérience.

Le plaisir semble constituer une donnée importante. La pratique artistique compte moins en elle-même que ce qu’elle provoque pour le groupe et l’individu, l’importance des liens créés. Et si l’extraordinaire se produit : une centenaire qui danse, un patient qui ne parlait plus qui dit bonjour, etc. ?

L’observation d’indicateurs non verbaux est aussi possible : est-ce que tous les corps ont bougé ? Est-ce que les visages se sont détendus ? L’évaluation sensible ne peut se faire que par l’instant, le vivant…

Au final, les participants s’interrogent sur l’objectif même de l’évaluation : une expérience ne vaut-elle d’être vécue que si elle est analysée, évaluée, mesurée ? La trace du projet est-elle indispensable à l’évaluation ?