la personne au centre... dans le contexte de l’institution médico-sociale, hospitalière ou pénitentiaire
Opéra National de Lyon, 18 octobre 2022
Profils professionnels des participant·e·s
Présentation de l’atelier
Placer « l’humain au beau milieu », permettre à chacun·e de « prendre part à la vie culturelle » : quels changements ? Comment, dans un projet collectif, amener chaque personne, « seule ou en commun », à développer ses potentialités et à se construire ses propres références ? Quelles conditions, quelles postures, quels outils imaginer ? Comment dépasser les représentations liées à certaines situations : hospitalisation, handicap, incarcération, illettrisme, insécurité linguistique… ? À partir du contexte de l’institution médico-sociale, hospitalière ou pénitentiaire, cet atelier entend explorer deux enjeux majeurs : la diversité culturelle et les droits culturels.
Animation
– Karine Chièze, attachée à l’action culturelle (Opéra national de Lyon)
– Séverine Legrand, directrice d’interSTICES Auvergne-Rhône-Alpes (réseau « Culture / Santé »)
Intervenant·e·s
– Arnaud Théval, artiste, et Alain Kerlan, philosophe ;
– Acelyne Vasseur, coordinatrice culturelle à la Maison d’arrêt de Lyon-Corbas ;
– Marie Langrée, chargée de mission éducation artistique et culturelle (EAC), Ligue de l’enseignement.
Déroulement de l’atelier
– Présentation de l’atelier par les animatrices : cadre, thématique et déroulement de l’atelier (5 min.)
– Présentation des participants (20 min.) – chacun est invité à donner son prénom, son métier, sa structure, son territoire d’intervention et apporter une réponse à la question : on vous dit « institution », quel est le premier mot qui vous vient à l’esprit ? Chaque réponse est notée au fur et à mesure sur un paper board. À la fin du tour de présentation, une définition « officielle » est délivrée par les animatrices. Il constitue le point de départ du travail en atelier.
– Débat mouvant à partir de questions clivantes liées à la thématique de l’atelier (20 min.) : des questions clivantes sont préparées en amont afin de créer un débat. Les personnes se répartissent d’un côté ou de l’autre d’une ligne imaginaire pour signifier un « oui » ou un « non ». Les participant.e.s peuvent justifier leur réponse et changer d’avis en fonction des arguments et points de vue apportés par les autres membres du groupe. Propositions de questions / affirmations (les questions évoluent, en partant des moins clivantes aux plus complexes :
- est-ce qu’il vaut mieux être ici en atelier que dans une salle de soins ?
- est-ce qu’il vaut mieux être animateur que soignant ?
- l’artiste est-il toujours bienvenu en institution ?
- la culture permet-elle de rendre plus visibles ceux qui sont invisibilisés dans l’institution ?
- la culture fait-elle du bien à l’institution ?
– Présentation du projet porté par les intervenant.es (35 min.)
Arnaud Théval, artiste, et Alain Kerlan, philosophe ; Acelyne Vasseur, coordinatrice culturelle à la Maison d’arrêt de Lyon-Corbas ; Marie Langree, chargée de mission EAC, Ligue de l’enseignement. (30 min. de présentation générale du projet)
Arnaud Théval parle de sa démarche artistique dans le cadre du projet Histoire animale de la prison qu’il réalise en résidence dans des établissements pénitentiaires depuis 2021, avec la complicité d’Alain Kerlan, philosophe qui suit depuis de longues années son travail. Sa démarche artistique prend la forme d’une enquête sur les présences animales dans les prisons et leurs résonances auprès des « habitants » de la prison (les personnels, les personnes détenues, les visiteurs au sens large) [Découvrir le projet].
– Remue-méninges (45 min.)
Répartition des participants en 4 groupes de 5 ou 6 personnes en amont pour travailler en sous-groupes les catégories ci-dessous. Dans chaque groupe, un rapporteur est désigné.
- quel est votre ressenti sur ce qui a été proposé ? Est-ce que j’aurais aimé vivre ce projet, prendre part à ce projet ?
- qu’est ce qui selon vous a bien marché dans le projet ? Quels sont d’après vous les effets positifs du projet ?
- qu’est ce qui, selon vous, a manqué ou n’a pas fonctionné ? Quels pourraient être les impacts négatifs du projet ?
- comment pourrait-on faire autrement ? Quelles nouvelles idées, quelles alternatives ?
À partir des constats issus du remue-méninges, mise en débat en « montant en généralité » (15 min.). Les participants réfléchissent en binôme par écrit, par dessin, sur les 3 points. Chaque idée vient nourrir une forme collective sur chaque catégorie (supports cartonnés en forme de carreau à imbriquer, collé sur un tissu intissé blanc qui nous permettra de l’emporter pour la table ronde du lendemain).
– Temps collectif de synthèse (20 min.)
« J’ai un projet qui place la personne au centre : Quelles sont les conditions nécessaires ? Les points de vigilance ? Les effets facilitateurs ? ». Lorsqu’on a un projet qui place « la personne au centre », quelles sont les conditions nécessaires à sa réussite ? Où sont les effets facilitateurs ? Et les points de vigilance ?
Synthèse des deux demi-journées
Au début de l’atelier, les participant.e.s qualifient l’institution de la manière suivante :
« alternatif », « cadre », « chef », « accompagnement », « gouvernement », « isolement », « financement », « formel », « autoritaire », « soutien », « faire ensemble », « ouverture », « culturel », « qui permet ou pas », « pouvoir et ressource », « réponse à un besoin », « établissement », « figé », « lourdeur », « rigidité », « paquebot », « établissement », « partenaires », « bien commun », « budget », « hiérarchie », « organisation », « durabilité », « équipes », « engagement », « compromis ».
Définir l’institution donne le point de départ de la réflexion : « L’institution se définit d’abord par l’action d’instituer, de créer quelque chose, qui répond à un besoin. La logique de l’institution est donc volontariste : elle suppose un projet d’ensemble et une force capable de rendre ce projet réel. Employé au pluriel, le terme désigne l’ensemble des règles, régies par le droit, établies en vue de la satisfaction d’intérêts collectifs. Elle induit donc des notions positives de réponse aux besoins, de stabilité ou encore de durabilité qui rejaillissent dans les mots-clés positifs recensés ci-dessus des participants. Des représentations plus négatives liées à la taille et à la rigidité des structures englobées par ce terme sont néanmoins assez majoritairement exprimées ».
Le débat mouvant entre les participant.e.s permet de questionner notamment leurs différents rapports aux publics entre les soignants et les animateurs qui « ne soignent pas la même chose ». Ils perçoivent majoritairement que l’artiste n’est pas toujours bienvenu dans les institutions : « la liberté de l’artiste se confronte parfois à un cadre, parfois à des incompréhensions sur ce qu’on n’a pas le droit de faire » ; « l’institution est plurielle, donc il peut y avoir des résistances » ; « il y a des craintes, car les porteurs de projets font bouger les lignes, ce qui peut déstabiliser ». À la question : « La culture permet-elle de rendre visibles ceux qui sont invisibles dans l’institution ? », les avis sont mitigés : « Ce n’est pas la culture, ce sont les gens qui la pratiquent qui font bouger les choses » ; « à l’Université, la culture permet de montrer les talents de ceux qui le veulent, de les soutenir, fournir des scènes d’expression pour être plus que des jeunes qui étudient » ; « la culture permet de créer de l’espace public en plus dans l’institution ». Enfin, à la question : « La culture fait-elle du bien à l’institution ? », oui… et non ! « Si l’institution le permet, essayons, il y a un potentiel » ; « l’institution veut agir sur la culture ».
La présentation du projet de résidence d’Arnaud Théval en milieu carcéral a permis de déterminer, à partir d’un projet artistique, comment mettre la personne au centre dans le cadre d’une institution très autoritaire qui pose la question de l’enfermement et de la dignité des personnes. L’ensemble des intervenant.e.s alimente la discussion pour construire ensemble une réflexion commune sur les enjeux d’un tel projet.
Dans sa démarche, l’artiste prend le parti d’impliquer les acteurs des institutions et de renverser les points de vue en s’intéressant à la fois aux métiers et aux représentations liées à l’enfermement. Pour cela, l’artiste se retrouve là où on ne l’attend pas en prenant pour point de départ le thème de l’animal qui permet de déplacer les relations entre les personnes, surveillants et détenus, de créer des porosités. À partir d’enquêtes scientifiques de terrain (où trouve-t-on des animaux dans la prison ?), d’entretiens sauvages (quelles sont leurs histoires avec les animaux ?), des représentations animales que l’on retrouve dans la prison (bureaux, écussons, tatouages, etc.), des expositions et projets performatifs comme l’installation d’animaux sur la coursive (en collaboration avec le musée des Confluences), il engage les acteurs dans un processus.
Suite à la découverte de ce projet et à partir d’un remue-méninges collectif, les participant.e.s et intervenant.e.s ont mené une réflexion collective sur les opportunités et risques de ce type de projet artistique et sur les perspectives : « Il faut partir du principe que tout peut être possible et réadapté ».
Les points forts
– l’artiste déplace l’accent de l’œuvre à l’expérience de l’œuvre… en train de se faire. L’œuvre est elle-même médiatrice. Mettre « l’animal au centre » permet d’introduire la possibilité du philosophique et du poétique, de la diversité des manières de faire le monde, d’être au monde dans sa diversité. S’interroger sur l’expérience est capital. C’est une expérience esthétique élargie qui intègre une dimension réflexive ;
– il s’agit d’un projet hors-normes qui crée de l’émulsion au sein de l’établissement. L’action artistique constitue un levier pour créer une dynamique de projet, des relations horizontales où chaque personne est sensibilisée, référente et actrice ;
– l’intervention d’une personne extérieure qui maîtrise les codes de la prison favorise les échanges. L’artiste dispose d’une expérience de dix ans dans les prisons ; la posture est importante ;
– il s’agit de créer du bien commun en associant les personnes, à travers une approche simple et pragmatique. Elles deviennent actrices, car cela ne leur prend pas trop de temps, il s’agit d’un temps partagé sur le territoire de l’imaginaire. Parfois, elles ne sont pas conscientes d’être prises dans le processus. Le chemin libre permet de faire bouger l’institution.
Les points de vigilance
– ce type de projet implique de prendre en compte la réalité de terrain. Les problématiques RH empêchent parfois de faire des projets impliquant agents et détenus ;
– informer et éduquer les équipes, s’adresser et passer par la direction, obtenir l’adhésion pour fédérer autour du projet. Qu’est-ce qu’un acteur dans un processus ? Qu’est-ce qu’un participant ? La question de la participation crée du débat. La notion est pour beaucoup enfermée dans des acceptions trop classiques. Participer ne se résume pas au faire, mais relève aussi de la question de l’adhésion. Pour rendre les personnes actrices, il faut en tout cas élargir au maximum les possibilités / modalités d’être acteur ;
– le risque est que le bien commun créé par ce projet ne ressorte pas assez. L’objet ou la restitution collective a dans ce cadre un rôle médiateur central. Parfois, cela échoue, mais le sujet, c’est d’être là, pas de réussir. Pour les acteurs, il est parfois difficile de partager de l’intime dans un espace professionnel, d’être acteur différemment dans l’institution ;
– prendre en compte et expliquer la valeur symbolique et quotidienne des espaces d’accueil des œuvres : « le sentiment d’instrumentalisation », « la position voyeuriste peut être mal vécue par l’individu ».
– le travail de médiation est donc essentiel. Il doit être présent pour accompagner le déséquilibre nécessaire créé et parvenir à retrouver l’équilibre.
Les alternatives
– les relations intérieur / extérieur : la possibilité de faire venir du public, d’imaginer des liens avec les familles, d’autres projets ou sorties culturelles. Si cela est inscrit dans le protocole, ce n’est pas un but en soi pour les prisonniers ;
– la question de la restitution, envisager par exemple de faire entrer des partenaires ;
– faire de la prison un lieu culturel à part entière et donner autre chose à voir de l’institution. C’est un lieu culturel en soi mais se pose la question de ce qu’on vient regarder en prison (que la culture vienne réparer, liberté, etc.).
Pour clore l’atelier, les participant.e.s ont défini par des mots-clés les conditions nécessaires, les points de vigilance, les effets facilitateurs permettant la réussite d’un projet plaçant la « personne au centre » :
– conditions nécessaires : « assumer son regard d’artiste », « du temps », « soutien institutionnel », « adaptation », « respect des engagements réciproques », « écoute », « dialogue », « adhésion », « envie », « respect », « curiosité », « sens » ;
– effets facilitateurs : « de la liberté », « neutralité de la posture », « bien s’entendre », « se faire confiance », « la durée », « la communication », « laisser le choix » ;
– points de vigilance : « budget », « récupération politique » « clichés et bonne conscience », « écouter pour construire », « temporalité ».